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sociology class 101 : pourquoi le cinéma français doit arrêter avec le white/rich savior trope ?

 



Récemment, mon attention a été portée sur la similarité de trois synopsis de films d’initiative français sortis en 2022. Ça passe, de Yassine Ramazani, issu de la formation de l’école kourtajmé, Mes frères et moi, de Yohan Manca, Ténor, de Claude Zidi Jr. Dans ces trois films, un protagoniste issu de la banlieue voit son quotidien bouleversé par une rencontre qui engendrera son entrée dans le monde du chant lyrique


Le manque d’originalité de ces scénarios n’est pas le point que je souhaite relever. C’est le message qu’ils renvoient, en effet, ils reproduisent ce qu’on appelle le white savior trope.


Qu’est-ce que le White Savior Trope ?


Dans son ouvrage,  “The White Savior Film: Content, Critics, and Consumption” publié en 2014, Matthew W. Hughey définit le terme par « a cinematic trope in which a white central character rescues non-white (often less prominent) characters from unfortunate circumstances ». (Un trope cinématographique dans lequel un protagoniste blanc sauve un personnage non-blanc de sa malheureuse situation). 

Si je peux ajouter une dimension sociale à ce phénomène, je dirais même qu’il existe un rich saviorism. Un personnage de condition aisé qui viendrait sauver un personnage de sa condition de pauvre.

 
Ce schéma est très récurrent dans le cinéma américain et on le retrouve également dans le cinéma français. On peut citer, Le Brio d’Yvan Attal (2017), Un triomphe d’Emmanuel Courcol (2020) ou encore le multirécompensé Intouchables du duo Eric Tolédano et Olivier Nakache (2011) etc… Je pourrais en faire une longue liste des films français usant et abusant de ce trope. Mais pourquoi est-il si populaire ? Et surtout en quoi pose-il un problème ?


Le problème du white savior trope


Pourquoi l’histoire d’amitié entre un personnage blanc aisé et un personnage non blanc modeste malgré leur différence pose-t-il problème ? C’est symbole de fraternité, de tolérance et d’un vivre ensemble, vous me direz. Le soucis, c’est la façon de le mettre en scène. 


Dans une amitié, ou une histoire d’amour, puisque le white savior trope peut être utilisé par ce procédé, l’apport est censé être réciproque et les rapports sont égaux. Et de cette manière, dépeindre ce genre de films n’est pas un problème. Mais lorsque le personnage blanc est représenté comme un sauveur, alors il y a des rapports de domination et c’est problématique. En effet, le personnage non-blanc se retrouve alors infantilisé, incapable de se débrouiller tout seul. Ce trope envoie comme message que les minorités ethniques ne demandent qu’à être sauver, tel des animaux en voie de disparition ou un chat coincé sur une branche d’un arbre. C’est le refus de voir le non-blanc comme son égal et renvoie à l'idéologie coloniale (Cf. les théories évolutionnistes en anthropologie).


De plus, cette amitié apparait plus comme une charité du protagoniste blanc, à qui on devra remercier à l’avenir car sans lui, le personnage non-blanc et pauvre ne serait rien. 


Dans le cinéma français, le white savior trope peut être représenté sous plusieurs formes : 

— Un.e jeune homme/femme blanc.he issu d’un milieu privilégié tombant amoureux.se d’une jeune femme/homme noir.e ou maghrébin/e qui la/le sauve de son milieu modeste ou hostile comme dans Cigare au Miel (2021) ou encore Samba (2014).

— Un.e prof blanc.he et privilégié.e enseignant dans un établissement de banlieue/ZEP ou à un élève non-blanc en particulier comme dans Les Héritiers (inspiré du film américain Ecrire pour exister), La Mélodie (2017) ou Les Grands Esprits (2017). 

— Une rencontre fortuite entre un délinquant non-blanc et une personnage plus âgé blanc qui va l’aider à se réinsérer dans la société en lui apprenant sa passion. On peut citer les films Un triomphe (2020) ou Haute Couture (2021)


Très souvent le protagoniste blanc est bien plus âgé pour accentuer les rapports de domination. C’est pour cette raison que dans la plupart des cas, les personnages non-blanc sont des enfants ou adolescents. 


Dans de nombreux cas, la relation des deux personnages existe par l’apprentissage d’une pratique sociale réservée aux élites : la musique classique (l’opéra ou un instrument classique comme le violon ou le piano), la haute couture, le théâtre, la danse classique, les concours d’éloquence etc… La mise en avant de cette culture classique qui apparait alors comme légitime et met alors les personnages modestes en opposition face à leurs habitus (cf. Pierre Bourdieu) propres à leur environnement (culturel/ethnique ou social), qu’ils finiront par délaisser.


Pour finir, le cinéma français doit arrêter d’user de ce trope car il véhicule des préjugés raciaux et sociaux et accentue les inégalités sociales. En effet, ils représentent une culture plus légitime que l’autre, symbole d'un narcissisme voire d'un ethnocentrisme. De plus, les réalisateurs de ses films sont souvent issus des milieux aisés et dépeignent une vision fantasmée des milieux populaires. Alors il est vrai que ce trope permet aux acteurs non-blancs d’avoir des rôles au cinéma où les opportunités sont peu nombreuses mais ils participent par ce biais à la propagation de stéréotypes dangereux. Malgré tout, les médias de masse ont quand même une certaine influence sur la population et cette idée qu’un non-blanc pauvre ne peut sortir de sa condition uniquement grâce à l’aide charitable d’un blanc aisé n’aideront pas les mentalités et les générations futures. 


Certains me diront que ces films sont tirés d’histoires vraies donc qu’ils sont authentiques et ne véhiculent pas de clichés dans ce sens. Cependant, une expérience personnelle n’invalide pas un phénomène. Les minorités ethniques ne sont pas des groupes homogènes, les profils sont multiples et divers, les histoires qu'ils vivent sont nombreuses alors pourquoi en raconter toujours le même type quand ils en existent des millions ?






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