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sociology class 101 : Validé, ces bandeurs de cité ?





En octobre 2021, Canal plus diffusait la saison 2 de la série à succès Validé. Et cette fois-ci, suite à la mort du personnage d’Apash (interprété par le rappeur Hatik) lors de l’épisode final de la première saison, c’est la rappeuse Lalpha, mère seule d’un petit garçon, qui sera le nouveau protagoniste de cette saison. C’est l’occasion pour la série d’aborder le thème sensible du rap féminin comme la misogynie à laquelle les rappeuses sont confrontées dans l’industrie, de par les acteurs du milieu mais également par le public. En regardant ce premier épisode, je me suis dit que la série se dirigeait sur une bonne voie en abordant des sujets tabou mais comme pour la saison 1, j’ai été complètement déçu. 



Très rapidement, les rebondissements rocambolesques viennent empiéter sur les épisodes de 30’. Des affrontements, des enlèvements, des meurtres et des fusillades Ici, comme toujours dans les productions audiovisuelles mettant en scène les minorités ethniques, les personnages manquent de profondeur et leurs individualités leur sont refusées. Tant qu’ils sont là pour exécuter des scènes d’actions dignes des plus grands films de gangster, on n’a pas besoin d’en savoir plus sur les motivations de leurs actions. Pas de grandes analyses sur la déterminisme sociale, le but est de faire frémir le téléspectateur sur un milieu du rap fantasmé. On en n’oublie même le thème principal de la série qui est le rap. Dans les neuf épisodes, ni Mastar, interprété par le rappeur Sam’s, ni Karnage, interprété par le rappeur Bosh ne posent un seul couplet. 



Cette critique, je ne suis malheureusement pas le seul à la faire. Sur les réseaux sociaux, les internautes reprochent à Franck Gastambide de surfer sur les clichés des banlieusards, violents, ex-taulards, ne pouvant communiquant qu’en se tirant des balles. Une vision exagérée pour beaucoup. 


En mai 2020, le rappeur Booba pointait déjà ce problème après le succès de la première saison « « Sans manquer de respect à tous ceux qui ont participé à cette série, on risque pas de m’y voir. C’est encore une fois de la récup de bobo en manque de sensations fortes ! ... ». 


En juin dernier, le rappeur marseillais Soso Maness renchérissait « Même si la série est bien faite, je trouvais que c'était très 'Gastambièque'", encore une fois. Grossir les traits. Et je n’ai rien contre lui mais grossir les traits des communautés… ». Il ajoutait même : "Je trouve qu'il ne fait rien de bien pour les gens des quartiers, alors qu'il n'y connaît pas grand-chose finalement".





Face à ces réactions, certains ont pointé une certaine hypocrisie dans les critiques faites au créateur de la série. Selon eux, Franck Gastambide se contenterait de reproduire ce que les rappeurs à la mode font déjà. Puisque c’est une réalité, le rap peut être violent. Mais pourquoi les rappeurs seraient-ils légitimes à dépeindre cette violence et pas le showrunner de la série Validé ? Revenons aux fondements de la discipline. Dans son ouvrage intitulé « Le rap » publié en 2003, et plus précisément dans un chapitre nommé « Une esthétique de la violence », Christian Béthune déclare :




« l’imagerie de la violence paraît contaminer l’ensemble de la poétique du rap ; elle fleurit non seulement dans les textes, où les meurtres abondent, mais elle s’étale, avec une apparente complaisance, sur les pochettes des albums comme dans les clips vidéo ». 





Il explique ensuite que les rappeurs s’en défendent en justifiant que leurs productions ne sont que le fruit de leur environnement, pas de leur imagination et qu’ils sont dans leur droit d’utiliser cette substance dans leur art. Cela relève d’une liberté d’expression promulguée en France.




Le rap est un genre musical provenant des ghettos noirs et a été repris par des individus issus de l’immigration et des banlieues françaises. La violence dans le rap témoignerait alors de leur quotidien et des violences qui subsistent dans ces milieux. De plus, le rap a fleuri au sein d’une communauté noire révoltée et les premiers textes illustrent ces révoltes face aux bavures policières que subissent les afro-américains, des émeutes de protestations ainsi que la violence des gangs au sein de ces ghettos. Les rappeurs, eux, emploieraient des « stratégies » afin de la sublimer au sein de leur art « en lui donnant une forme plus bénigne et constructive » selon Richard Shusterman dans la revue Mouvement dans son numéro intitulé « Pragmatisme, art et violence : le cas du rap ». L’auteur ajoutera également que cette violence utilisée par les rappeurs pourrait avoir une utilité positive. 




De plus, la série est précurseur sur le sujet, c’est la première série à dépeindre le rap actuel en France.  Selon plusieurs sondages et notamment celle de la société internationale d’études de marché Youv Gov, de nos jours, le rap est le genre musical l’un des genres les plus écoutés en France. Il est encore plus accessible qu’il ne l’était déjà auparavant. Il est aujourd’hui loin d’être uniforme (je crois même que le rap français ne l’a jamais été) et présente plusieurs sous genre et différents rappeurs issus de tous milieux sociaux. La violence n’est pas toujours illustrée par les rappeurs et les clips ne sont présentent pas toujours des armes, des gestes obscènes ou encore des bagarres.


Tout ceci est alors une question de légitimité et d’émission de messages. Si les rappeurs dénoncent ou racontent leur quotidien dans leurs textes, qu’est-ce que dénoncent la série ? En voulant multiplier les rebondissements, le message est crypté. Après ces deux saisons, nous n’apprenons finalement rien de révolutionnaire. La première saison nous apprenait que le rap était violent et dans cette saison, nous apprenons que le milieu du rap est hostile aux femmes. Cependant, ces dénonciations se retrouvent dans deux, trois, scènes de la série alors qu’elles sont censées être le thème principal de la deuxième saison. 


J’ai la ferme conviction qu’un média est censé véhiculé un ou plusieurs messages, qu’ils soient bons ou mauvais. Le principe même d’un média est transmettre une information. En utilisant la fiction télévisée, la série Validé n’a pas pour vocation d’être un simple divertissement. Nous avons pu le voir à travers la réception du film Bac Nord sorti en juillet dernier, que les médias de masse pouvaient toujours être des outils de propagandes et sujette à des récupérations politiques. D’autant plus que la représentation des minorités ethniques à la télévision est une discipline délicate dans l’état actuel de la société française, à cela vient s’ajouter la mauvaise réputation du rap dans les médias, considéré comme une sous culture. Pour s’essayer à un exercice si difficile lorsqu’on en n’a ni la légitimité, ni les compétences requises ? 




Malgré tout, la série multiplie les records d’audience et sera disponible sur la plateforme américaine HBO Max. Dans un monde capitaliste, il semble logique que seuls les chiffres comptent. Les critiques faites à la série passeront au-dessus des producteurs et scénaristes parce que tant que l’argent rentre pourquoi arrêter de dénaturer ou tuer une culture ?

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